Comme bon nombre d’entre vous, J’ai eu l’occasion de côtoyer des managers de profils très différents au cours de ma longue carrière en entreprise. Certains étaient mes pairs tandis que d’autres étaient celui ou celle à qui je « reportais » comme il est de coutume de dire.
Si j’ai eu la chance, le privilège et le plaisir de servir sous la direction de leaders inspirants qui m’ont fait grandir et m’ont ouvert les voies du développent professionnel (et personnel), j’ai eu également l’occasion de croiser la route de quelques névrosés, de l’imprévisible paranoïaque au super toxique pervers-narcissique (j’en ai même eu un qui était les deux à la fois). Toutefois, il est une catégorie que je n’ai croisée que sur le tard, alors que mon profil senior me prédisposait davantage à l’autonomie – une catégorie non moins redoutable : le micro-manager.
Le micro-manager est d’autant plus dangereux qu’il passe souvent pour un manager de valeur. Son professionnalisme, son application, sa précision lui valent souvent respect et reconnaissance de la direction qui n’entrevoit que la face visible de l’iceberg quand les collaborateurs de l’équipe eux se fracassent quotidiennement contre l’immensité immergée de son besoin de contrôle. Il peut se passer des années avant que cet imposteur ne soit démasqué ce qui lui laisse le temps, tel un vers dans une charpente, de fragiliser non seulement les individus qui lui reportent mais aussi toute une organisation.
Pourquoi les micro-managers sont-ils de plus en plus nombreux ?
On pourrait croire que le déploiement massif de formations en leadership et la promotion du management participatif suffisent à éradiquer ces empêcheurs de performer en paix, mais ce serait sans compter sur trois grandes maladies qui gangrènent les entreprises aujourd’hui, et permettent aux micro-managers de proliférer et répandre jour après jour, goutte après goutte, leur venin même dans les cœurs des travailleurs les plus ardents.
1. La « sur-procéduralisation ». Les « process » sont là pour améliorer les fonctionnements de l’entreprise – certes. Mais quand ils ne délivrent pas les effets escomptés (comme si tout était aussi simple que dans une chaine de montage) alors on ajoute des process… aux process existants. Or c’est souvent en pleine procéduralisation que le micro-manager sévit le plus dangereusement. On loue sa précision et le respect absolu qu’il voue au déroulement des étapes du process et c’est ainsi qu’il se retrouve investi de la bonne marche des équipes dans « l’accompagnement du changement », pour reprendre un autre gimmick à la mode.
2. La « report-mania »ou sur-production de rapports de suivi qui découle de cette sur-procéduralisation : le micro-manager adore le « reporting » et tout particulièrement sa mise en forme. Peu importe la pertinence des informations recueillies (il arrive qu’elles soient anodines ou saugrenues) et l’impact tangible des collaborateurs sur l’opération ou sur la satisfaction du client final. Il lui est crucial de remplir les tableaux Excel (qu’il a souvent élaborés lui-même) comme décrit au préalable dans un mail (qu’il a pris soin de rédiger avec des phrases en lettres capitales au cas où les instructions ne seraient pas assez claires) ou de respecter A-LA-LETTRE la mise en page du Powerpoint (on peut alors parler de Pauvrepoint). Ce diable de micro-manager adore se vautrer dans les détails.
3. L’immédiateté de l’information.Nous y sommes asservis dans notre quotidien par la mainmise des réseaux sociaux sur notre vie. En entreprise, ce besoin permanent d’informations «here and now » , de mise à jour de tableaux ROI et autres outils de benchmark constituent une légitimation idéale au harcèlement auquel nous soumet le micro-manager .Combien de fois avons-nous vu les équipes stressées par l’élaboration d’un rapport « ad-hoc » alors que leur présence sur le terrain aurait été plus profitable à la satisfaction du client final et à l’atteinte des objectifs.
Comment le reconnaitre… et mieux le connaitre ?
Au-delà des quelques exemples vus plus haut, voici ce qui distingue (lite non exhaustive) le micro-manager :
· Il dicte à ses subordonnés non seulement ce qu’il faut faire, mais comment il faut le faire.
· Il délègue la responsabilité, mais pas la prise de décision.
· C’est souvent un « sois-parfait ». Il a une forte tendance à faire les choses « bien » jusqu’au plus petit détail, plutôt que veiller avant tout à privilégier les bonnes choses– ce qui est très différent ! Cet état d’esprit centré sur le détail le renforce dans sa conviction d’être un exemple parfait de manager et ainsi le sois-parfait devient le soi-plus-que-parfait.
· Lors des entretiens d’évaluation, il accorde beaucoup d’importance à la préparation. Il aime particulièrement envoyer un mail préalable à l’entretien souvent formulé sous la forme d’un tableau à préremplir. Enfin lors de l’entretien lui-même il s’attardera sur la façon dont vous aurez suivi les procédures et sur la docilité avec laquelle vous aurez rempli les documents de suivi qu’il aura créés.
· En revanche l’impact tangible et positif de vos actions et initiatives sur le business ou après du client final lui importera peu tant que la manière d’y parvenir n’aura été la sienne.
· Il sera plus prompt à mettre l’accent sur vos insuffisances plutôt que sur vos forces. Le micro-manager est en fait quelqu’un de peu confiant en lui. Reconnaitre chez les autres des qualités qu’il n’a pas le fragiliserait davantage encore intérieurement.
· Il est souvent dans un rapport parent-enfant avec ses collaborateurs. Si des collaborateurs juniors peuvent s’en accommoder faute d’expérience (certains débutants pensent qu’il s’agit d’un management « normal » et pourraient reproduire un jour les mêmes schémas), les seniors, quand ils ne sont pas pris d’emblée pour cible, sont eux soit confrontés et contraints à la soumission, à la reddition ou à la rébellion.
· Il s’offusque facilement que vous preniez quelconque décision sans le consulter, quand bien même celles-ci seraient parfaitement du ressort de votre fonction ou complètement anodines.
· Dans la conduite du changement, s’il est fait référence à la courbe de Bell par exemple, il s’empressera de louer les « early-adopters » auto-déclarés et de disqualifier les pourtant très utiles « resisters » (parfois catégorisés ainsi sans autre forme de procès). Il entrevoit ces « résistants » comme de potentiels frein à l’application de routines auxquelles il peine parfois lui-même à donner du sens.
· Il recoure souvent à la peur auprès de ses employés, avec toutes les conséquences connues sur l’estime de soi voire l’intégrité physique de ces derniers.
· Et pour finir – et non des moindres – il se considère comme un manager parfaitement structuré et organisé. Il évolue dans un déni total que renforce souvent l’appréciation positive de ses supérieurs hiérarchiques peu au fait de ses méthodes.
En réalité et contre toute apparence le micro-manager est un être insatisfait (de lui-même) et manquant cruellement de confiance en lui et d’estime de soi. En tant que « sois-parfait » de base, il se sent imposteur dans sa fonction et sa stratégie instinctive de défense ou de protection sera de créer un environnement lui permettant de démontrer sa valeur auprès de sa hiérarchie. En mettant en place de façon souvent autocratique des procédures et l’utilisation de standards qui lui sont propres et qui légitimise selon lui l’atteinte des objectifs, il pense s’assurer la démonstration de son talent et de son utilité. Il fera ressentir son autorité d’autant plus qu’il se sentira « menacé » par la présence d’un subalterne plus qualifié techniquement, plus mature mentalement ou assertif dans ses rapports avec autrui. Bref, micro-management rime souvent avec micro-talent…
Pour autant convient-il de ne pas lui rejeter l’intégralité de la faute d’être assigné à ses fonctions, les premiers fautifs étant ceux qui sans le savoir ont choisi de lui confier la responsabilité managériale d’une équipe. S’il s’avérait cependant que la décision ait été prise en parfaite connaissance du profil « micro » du manager, alors force est de reconnaitre comme quasi criminelles les pratiques de tels dirigeants.
Macro-dégâts !
Car il arrive effectivement que le micro-management soit une pratique délibérément souhaitée et « installée » par l’équipe dirigeante pour éliminer des employés trop nombreux ou non désirés. Sont alors créés des standards déroutant auxquels les employés visés ne peuvent répondre, les conduisant à la confusion, la démotivation et la démission, quand ils ne mènent pas au burn-out ou au suicide comme ce fut le cas chez France Telecom et leur programme NEXT dans les années 2006-2010 (60 suicides !). Le micro-manager (autrefois souvent appelé « petit-chef ») se plaisant à appliquer sans vergogne les plus viles décisions.
Intéressons-nous ici au micro-management non institutionalisé et supposons que cette pratique ne soit pas désirée par la direction de l’entreprise. Mais même dans ce cas, on peut citer parmi les conséquences du micro-management :
· Un désengagement des collaborateurs lié au sentiment d’un manque de confiance envers leur travail ou leur jugement. Ce désengagement altère la productivité de l’employé mais peut aussi agir par contagion sur le comportement de ses collègues.
· Un climat délétère. Face à un micro-manager, les stratégies de défense diffèrent en fonction du niveau de confiance, d’assertivité des collaborateurs, mais aussi en fonction de leur échelle individuelle de valeurs. Certains vont être tentés de pactiser avec le micro-manager par une attitude docile voir complice tandis que d’autres vont afficher une neutralité passive mais intérieurement destructrice alors que les derniers vont se révolter et fustiger leurs collègues peu emprunts à la rébellion. Bref rien de bon pour la confiance, l’harmonie et la collaboration au sein du groupe.
· Un stress croissant. Le besoin extrême de contrôle, l’importance accordée aux détail insignifiants, le manque de reconnaissance, l’attitude autocentrée du micro-manager. Autant d’effets pervers sur la santé mentale et l’intégrité physique (maux de ventre, sommeil difficile…) des collaborateurs, pouvant les conduire à un absentéisme néfaste au bon fonctionnement de l’entreprise.
· Un ralentissement voire un arrêt du développement des collaborateurs en termes d’estime de soi, de confiance générale envers l’employeur au sens large, de volonté d’apprendre professionnellement et de grandir dans l’entreprise.
· Un frein à l’innovation. Les collaborateurs les plus engagés et créatifs seront très vite fatigués de voir leurs initiatives et réflexion « en dehors de la boite » réfutées par leur micro-manager (quand ce dernier ne reprendra pas les meilleures idées à son initiative). Démotivés, ils partiront où se contenterons de suivre le mouvement, alimentant le « Business as usual… »
· Le départ des meilleurs éléments. Les individus les plus performants et matures, souvent au fait de ce que distingue un leadership fort du micro-management, seront les premiers à chercher une échappatoire. Conscient de leur valeur sur le marché du travail ou de leur capacité à entreprendre, mais aussi de l’impact sur leur santé d’un bon équilibre mental, ils n’hésiteront pas à quitter un environnement qu’ils jugeront hautement toxique. Il apparaitrait que 70% des personnes quittant volontairement leur emploi le feraient du fait de leur manager.
· Une altération de la performance de l’équipe et de sa capacité à répondre efficacement aux missions qui lui sont confiées
· Au final un impact négatif sur la satisfaction du client final.
Mais que faire ?
Agir avant qu’il ne soit trop tard, dans l’intérêt des collaborateurs avant que ceux-ci ne se démotivent et n’atteignent dans les cas extrêmes le point de non-retour (burn-out, suicide). Mais aussi dans l’intérêt de l’entreprise, de ses clients et ne l’oublions pas dans l’intérêt des micro-managers eux-mêmes.
Pour l’entreprise :
· Osez parler du micro-management tout en vous assurant qu’une définition juste et claire soit connue et partagée de tous, managers et employés.
· Commanditez des enquêtes sur le climat social et la motivation des employés. Il faut libérer la parole de façon rassurante et équitable. Il est curieux de constater le non recours à ce type d’enquêtes là même où les équipes subissent les ravages des micro-managers.
· Adoptez la philosophie et les méthodes Agiles. Le « Servant leadership » s’oppose radicalement au micro-management et en assurer la pratique est un gage de non-prolifération des micro-managers. Il place le manager au service de la performance de son équipe et engage ce dernier à accorder sa confiance à ses collaborateurs et à leur reconnaitre une expertise supérieure à la sienne. Comme le résumait un pratiquant assidu du Servant leadership croisé récemment lors d’un atelier consacré à l’agilité : « si je suis le plus compétent dans la salle de réunion, c’est que je me suis trompé de salle ! ».
Pour les collaborateurs :
· Rebellez-vous ! On vous a recruté pour de bonnes raisons qui plus est si vous n’êtes plus dans la position du junior. Challengez-votre (micro) manager en vous référant à la culture d’entreprise (souvent documentée, il est rare que le micro-management y soit érigé en exemple) ou à votre fiche de fonction. Vous êtes souvent payé trop cher pour n’être qu’un simple exécutant, rappelez-le!
· Faites front en groupe. Il y a plus de chance que la direction soit alertée et s’alarme de possibles dérives micro-managériales si les plaintes émanent de plusieurs individus simultanément.
· Si rien ne se passe, partez ! Comme avec les pervers-narcissiques, le salut, c’est la fuite. Le micro-management – s’il n’est pas une pratique insidieusement installée volontairement par la direction – est souvent une affaire de déni. Ce déni concerne aussi bien le micro-manager que le micro-managé. Or pour qu’il y ait un bourreau, il faut une victime. S’il n’y a rien à espérer, alors vos talents seront plus utiles dans un autre environnement professionnel où vous serez reconnu, apprécié et où vous pourrez pleinement vous épanouir.
Pour le micro-manager :
Le micro-manager est souvent dévoué à son entreprise. Il serait dommage pour son employeur de se passer des services d’un collaborateur aussi zélé et motivé intrinsèquement. Et pour lui-même de passer à coté de la carrière rêvée faute d’avoir pu être à la hauteur du manager qu’il aurait souhaité devenir.
Aussi voici trois conseils adressés au micro-manager
· Demandez l’avis de vos collaborateurs, de vos collègues et de votre supérieur. Comme vu plus haut, le propre du micro-manager est d’être dans le déni. Oser poser la question de savoir si oui ou non, tout le temps ou parfois seulement vous micro-managez (sur la base d’une définition juste du micro-management), vous permettra de réaliser les progrès à accomplir mais aussi l’étendue de l’impact désastreux sur les membres de votre équipe.
· Intéressez-vous au classique leadership situationnel qui vous aidera à adopter l’approche managériale la plus pertinente en fonction du profil de vos collaborateurs. Mais aussi et surtout au Servant leadership et aux méthodes Agiles. Apprenez également à capitaliser sur les forces de vos collaborateurs et non sur leurs faiblesses uniquement. (je vous recommande à cet effet l’outil Strengthsfinder 2.0 de Tom Rath) Vous réaliserez alors combien la formule est magique et vous qui êtes souvent en manque de reconnaissance, vous verrez votre équipe approuver les changements que vous mettez en œuvre dans votre approche du leadership et du suivi managérial.
· Ayez recours à un coach. Celui-ci vous aidera sans jugement de valeurs, en vous posant et en vous faisant vous-poser les bonnes questions, à réaliser la transformation possible du micro-manager que vous êtes en leader inspirant que vous pensiez être.
Il n’y a pas de honte à affronter ses démons et accepter ses erreurs. Et d’ailleurs, se tromper et échouer figurent en premier place dans les préceptes de l’Agilité.
Vous êtes intéressés par le concept de Servant Leadership et désirez faire bénéficier vos équipes d’une formation ou d’un atelier sur ce sujet, n’hésitez pas à me contacter : contact@engageanddeliver.com