Petit, breton avec de grandes oreilles, mais tant de choses à nous apprendre sur le leadership… le vrai.
Le 28 Octobre dernier nous quittait Philippe Gildas, 82 ans. Pour les « millenials » qui ne le connaitraient pas, il a été un des grands hommes de la télévision Française. Journaliste, animateur de télé et de radio, il fut Directeur de l’antenne de la station Europe 1 avant de rejoindre Canal+ en 1985. Surtout connu pour avoir coanimé pendant dix années la cultissime émission Nulle part ailleurs avec Antoine De Caunes, il était aussi l’inventeur du top 50 et sans lui les Restos du Cœur n’auraient sans doute jamais vu le jour.
Nulle part ailleurs, une autre époque. Le début de l’infotainment. Un bonheur de télévision pour moi téléspectateur qui entrait dans la trentaine. Une époque durant laquelle on travaillait dur sans beaucoup se prendre au sérieux chez Canal (mais aussi dans l’entreprise qui m’employait à l’époque), où l’intelligence côtoyait l’irrévérence (les Guignols de l’info autorisés à moquer les propres dirigeants de la chaine). Une époque aussi d’apparente insouciance mais où habilement les journalistes faisaient bouger les lignes. Ainsi la marionnette de Chirac mangeant constamment des pommes, avait finalement rendu le candidat homonyme sympathique pour mieux repousser le Front National lors des élections présidentielles de 1995. C’était une époque où l’on n’avait pas besoin de « code de conduite » dans les entreprises, le politiquement correct n’ayant pas encore fini d’anesthésier tous les cerveaux disponibles.
Revenons à Philippe Gildas. L’annonce de son décès a provoqué une avalanche de commentaires les plus élogieux les uns que les autres à son sujet. « Gildas la grande classe », « le meilleur patron que je n’ai jamais eu », « un professionnalisme et une bienveillance exceptionnels », etc. La liste de compliments est longue et ne peut-être que méritée pour ainsi faire l’unanimité.
Il suffit pour nous en convaincre, nous qui pour la grande majorité n’avons pas connu les coulisses de la chaine, de regarder les émissions de l’époque, celles qui ont fait « l’esprit Canal » et de constater la diversité et la qualité des programmes, la prise de risque, l’innovation. Mais aussi d’observer Philippe Gildas en véritable chef d’orchestre, présent mais en retrait, attentif, rigoureux, protecteur, précis comme un sniper quand il fallait rectifier un commentaire, à l’aise autant qu’il mettait à l’aise ses chroniqueurs et ses invités. Sur les images d’archive, on est frappé par son regard acéré et son sourire permanent, un combo qui lui conférait un imparable charisme. Un modèle pour tous les apprentis responsables de programme.
Les témoignages décrivent Philippe Gildas comme un monstre de travail, passionné, parfois colérique certes mais qui savait guider, développer, corriger ses collaborateurs avec un tact et une finesse inégalés, qui créait une ambiance de partage, intensément créative et exigeante, où l’on travaillait tout en s’éclatant. Son mètre soixante-quatre, souvent tendrement raillé (et qu’il savait le premier tourner en dérision), n’altérait en rien la vraie dimension du personnage. Petit de taille mais un grand patron qui n’avait pas besoin de jouer justement… les grands patrons.
Que penser en comparaison d’un Vincent Bolloré, nouveau boss de la chaine, quand il rassemble ses troupes (visiblement asservies) pour faire le show sur la scène de l’Olympia – en mode mâle alpha – pour marteler certes les valeurs héritées de son père (l’épisode où il se présente comme un « résistant » laisse toutefois perplexe) pour en même temps se montrer menaçant, insistant sur la précarité des emplois occupés par ceux-là mêmes qui constituent son audience ? – la vidéo semble avoir été effacée depuis de YouTube. Que penser quand on considère ce que sont devenus les programmes Canal+ aujourd’hui ? (à l’exception de certaines séries).
Nombreux sont les reportages disponibles sur la période dorée des De Greef, Rousselet, Lescure, Denisot, Gildas, où grande liberté de ton et expérimentation ont élevé la chaine au niveau d’excellence qu’on lui a connu. Nombreuses aussi les révélations sur le climat de peur qui a marqué l’ambiance, depuis que Canal+ bat sous pavillon Vivendi. Une atmosphère délétère provoquant au grand dam des abonnés marris, la fuite de nombreux talents sur d’autres chaines, fatigués sans doute de vivre dans la crainte perpétuelle de représailles quand un bon mot risquait de heurter la sensibilité du dirigeant (ou de ses amis politiques). Bienveillance vs peur, humilité vs posture triomphante … résultats d’audience et courbes d’abonnements totalement opposés.
L’héritage inspirant de Philippe Gildas sonne comme une fable qui pourrait compléter parfaitement les nombreuses histoires illustrant l’excellent livre de Simon Sinek Pourquoi les vrais leaders se servent en dernier (Ed Pearson titre original Leaders eat last).
Il y est question de la relation entre la notion de leadership et la libération de certaines hormones, propres à l’espèce humaine. Les hormones qui ont permis à celle-ci de survivre et de s’imposer comme « espèce dominante » (posture depuis devenue précaire eu égard aux menaces environnementales).
Il serait réducteur de résumer ce qui est sans doute l’un des tout meilleurs ouvrages sur le leadership (il en existerait plus de vingt-cinq mille…) à une histoire d’hormones. On sait avec quel à-propos Simon Sinek lie la performance et le succès en entreprise à la biologie et l’anthropologie – aussi lisez son livre, vous verrez, c’est passionnant.
Mais pour vous mettre en appétit, disons qu’en gros six hormones clés régissent nos comportements individuels et de fait la dynamique de groupe, qu’il s’agisse de nos ancêtres chassant pour subvenir aux besoins du clan, de l’entreprise moderne ou des corps de marines.
On y parle des endorphines, de la dopamine, de l’adrénaline, du cortisol, de la sérotonine et de l’ocytocine. Toutes ont une fonction spécifique et utile. Les endorphines et la dopamine sont les « molécules égoïstes » dans le sens où elles nous aident, individus, à trouver les ressources en nous pour progresser. La sérotonine et l’ocytocine sont quant à elles des « molécules altruistes » servant à renforcer nos liens sociaux. Enfin l’adrénaline et le cortisol sont les molécules du stress.
Raccourci très rapide : c’est parce qu’il est un « animal social » que l’homme a survécu à ses multiples prédateurs. Sans entraide pas de survie. Et pour qu’il y ait de l’entraide, il faut du lien entre les individus. Ce lien, c’est à l’ocytocine – « l’hormone de l’amour » – qu’on le doit. Pour libérer cette hormone si importante, il faut du temps mais surtout un ingrédient crucial : la confiance. Car confiants et sereins, nous nous tournons vers les autres, contribuant à notre tour à la libération de nouvelles doses d’ocytocine. Cercle vertueux.
A l’inverse, dans des environnements de travail toxiques, c’est l’hormone du stress, le cortisol qui prend le dessus. Le cortisol joue un effet super néfaste sur notre santé. Il serait à l’origine d’un affaiblissement du système immunitaire et de fait favoriserait maladies cardio-vasculaires, diabète, voire certains cancers. Il encourage surtout la paranoïa, la mesquinerie et tous les autres comportements déviants dont nous aimons parfois rire quand ils ne nous concernent pas directement.
La dopamine est elle aussi une hormone positive. Elle est importante car face à l’adversité elle nous encourage à persévérer. Elle représente le sentiment de satisfaction quand nous avons atteint un objectif. Mais son effet est différent de celui de l’ocytocine. Contrairement à cette dernière, l’effet de la dopamine est de courte durée. C’est un shot qui nous satisfait dans l’immédiat mais dont l’effet reste très « superficiel ». Simon Sinek décrit très bien à quel point les réseaux sociaux nous rendent d’ailleurs tous accros à la dopamine. Chaque « like » obtenu sur Facebook (et Linkedin) nous apporte une satisfaction qui nous conditionne peu à peu à sans cesse vérifier sur notre portable, si nous en avons reçu de nouveaux.
La sérotonine (l’hormone de la reconnaissance) et l’ocytocine surtout, sont d’un autre acabit. L’effort pour en assurer la libération en continu est important que l’on soit parent, conjoint, entraineur ou manager. Mais le résultat en vaut la chandelle. Quand on se sent aimé et protégé à l’intérieur de son cercle (familial, sportif, professionnel), alors on peut se concentrer sur les menaces et challenges extérieurs et délivrer le meilleur de soi-même.
En résumé selon Simon Sinek, ce qui distingue un vrai leader d’un simple manager c’est cette capacité à libérer en nous les hormones positives de façon équilibrée et à nous protéger des molécules négatives. Les exemples qui illustrent cette approche sont nombreux et très bien choisis dans le livre.
Dans le journal le Parisien du 28 Octobre, y figurait un article sur Yann Saillour, un valeureux policier grièvement blessé en tentant d’intercepter un braqueur en Octobre 2015. Marqué par de graves séquelles irréversibles, le courageux fonctionnaire, décoré de la Légion d’honneur n’a cependant toujours pas été indemnisé. Interrogé par le journal, son père se dit « écœuré » de voir son fils ainsi traité alors que la violence est au cœur du discours électoral des hommes politiques. Que devons-nous penser de nos élus – quelle que soit leur idéologie politique – s’il ne savent pas faire en sorte que nous citoyens nous sentions protégés et justement traités quand nous accomplissons notre mission. Dans le cas de Yann Saillour, les élus concernés peuvent être volontiers qualifiés « d’élites » mais certainement pas de leaders.
J’ai eu la chance de reporter à de nombreux bons managers dont certains étaient des vrais leaders, ils ont été rares cependant. (Philippe, Sylvie, Joel, Antonio, Bo et Ulf se reconnaitront).
Entre le manager je-sais-tout qui attend de ses employés qu’ils obéissent comme des moutons (leader-sheep ?), celle qui revêt ses plus beaux atours pour briller sur scène alors que son discours n’a aucun fond (leader-chic ?), celui qui ne s’intéresse pas à notre travail mais nous bombarde de compliments superficiels (leader-cheap ?), celle qui manage par notes de service interposées (leader-sheet ?) et enfin le pervers-narcissique qui monte les membres de l’équipe les uns contre les autres (leader-shit ?), beaucoup se voient en grand leaders sans même avoir une once d’idée de ce dont il est question. Ils seraient bien inspirés de lire Leaders eat last.
Il est des entreprises où le leadership tout comme le travailler ensemble, l’inspiration, la lutte contre la discrimination, est élevé au rang de mantra. C’est pourtant dans ces mêmes entreprises parfois que des employés passent Noel ou l’été en famille en sachant que leur poste n’existera plus à la rentrée, que des quinquagénaires compétents sont traités comme de simples fins de série, que les collaborateurs suffisamment loyaux et assertifs pour dénoncer les dysfonctionnements afin de mieux faire avancer machine sont ostracisés car jugés « négatifs » et pas assez « corporate ». Leadership vraiment?
Mais il existe par ailleurs des entreprises qui comme Canal+ durant sa glorieuse décennie (1987-1997) libèrent la créativité, entretiennent une atmosphère détendue mais sérieuse, mise sur le long terme plutôt que sur les rapports trimestriels, veillent à ce que les équipes évoluent soudées dans un climat serein. Peut-être dans ces entreprises parle-t-on « d’esprit XXX » comme on parlait à l’époque « d’esprit Canal ».
Philippe Gildas aurait certainement beaucoup aimé le livre de Simon Sinek, et moi… j’aurais adoré travailler avec Philippe Gildas.